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L’enfer des maladies environnementales

Mon amie Sarah souffre d’une condition chronique depuis plus de 20 ans. Elle est atteinte d’encéphalomyélite myalgique, à tort appelée syndrome de fatigue chronique. Elle a contracté ce syndrome à la suite d’une longue exposition aux moisissures. On compare les gens comme elle à des « canaris dans la mine » des temps modernes : des gens qui, par leur hypersensibilité à leur environnement révèlent la toxicité de ce dernier. Toxicité qui affecte tout le monde mais en proportions moindres.

 

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Mon amie Sarah souffre d’une condition chronique depuis plus de 20 ans. Elle est atteinte d’encéphalomyélite myalgique, à tort appelée syndrome de fatigue chronique. Elle a contracté ce syndrome à la suite d’une longue exposition aux moisissures. On compare les gens comme elle à des « canaris dans la mine » des temps modernes : des gens qui, par leur hypersensibilité à leur environnement révèlent la toxicité de ce dernier. Toxicité qui affecte tout le monde mais en proportions moindres. Il y a une quinzaine d’année, un accident de la route a immobilisée Sarah, au lit, pendant plusieurs mois. Sa chambre cachait, entre ses murs, une certaine moisissure causée par une infiltration d’eau invisible à l’oeil nu, ce qui l’a exposée à un air malsain en continu. Cela a endommagé son système immunitaire, son système endocrinien, son système digestif, son système neurologique et j’en passe. En 2014, grâce à l’aide financière de son entourage, Sarah a pu se rendre dans une clinique des États-Unis qui a pu établir un diagnostic plus complet de ses maux. Malheureusement, les soins proposés étaient trop onéreux et elle a dû revenir, à court d’argent, après des résultats très partiels. Il en aurait fallu beaucoup plus. Sa situation s’est donc rapidement à nouveau détériorée. Elle sait aujourd’hui que ce n’était pas la solution idéale. Mais la solution idéale n’existe pas.

 

Scepticisme

Sarah a beau m'en parler périodiquement depuis huit ans, je ne comprends pas encore très bien la complexité de sa situation et pourquoi le réseau de la santé ne peut rien faire pour elle. Le domaine médical semble en effet tarder à offrir des solutions aux personnes atteintes d’hypersensibilité environnementale, et pourtant, on voit de plus en plus surgir toutes sortes de conditions chroniques, notamment respiratoires, mais aussi auto-immunes, surtout dans les pays industrialisés. La science ne semble pas prête pour les maladies émergentes. Heureusement, « La science évolue, permettant une meilleure compréhension de phénomènes souvent jugés avec circonspection, et même niés, dans le passé. Dans les années 1960, les premières personnes qui se sont plaintes des effets sur la santé de la fumée de cigarette ambiante ont été perçues comme des êtres marginaux qui importunaient les autres avec des demandes exagérées. De la même façon, dans les années 1960 et 1970, les gens qui les premiers ont remis en question le caractère sécuritaire des pesticides comme le DDT ont aussi été perçus comme des extrémistes, des individus peu crédibles trop sujets à crier au complot. Et pourtant, aujourd’hui, les politiques publiques québécoises leur donnent raison. »1 Alors des articles et des documentaires commencent à aborder le sujet des maladies environnementales auprès du grand public mais l’article de Mario Girard, qui traite du film Prison sans barreaux, parle vraiment bien du scepticisme ambiant relativement à ces sensibilités.2

 

État des connaissances

Certaines provinces canadiennes offrent des traitements aux personnes souffrant d'un syndrome dit « d'hypersensibilité chimique multiple ». Mais au Québec, le ministère de la Santé ne reconnaît pas ce syndrome. C’est une maladie peu connue, et encore, seulement par une poignée de médecins qui ne suffisent pas à la tâche pour une cohorte de plus en plus grande de malades. Sans compter que les soins ne répondent pas toujours aux besoins de cette population, les fonds pour la recherche en matière de maladies environnementales étant parmi les plus déficitaires, malgré un nombre croissant de victimes. On parle d’environ 3 % de la population canadienne, certains disent jusqu’à 5 %.3 Cela veut dire qu’il y a très peu de publications qui sortent sur le sujet et cela veut aussi dire que les symptômes des personnes atteintes de maladies environnementales ne sont pas pris en charge de manière globale par le système de santé jusqu’à ce que ce même système puisse observer un dérèglement ou une déformation avérée, souvent irréversibles. L’accumulation des diagnostics divers n’aide pas à établir un lien de causalité toujours clair avec l’environnement. Et même quand le diagnostic est posé, les malades ne sont pas toujours pris en charge de manière adéquate. Il arrive fréquemment que les solutions proposées par le système de santé causent encore plus de détresse, parce qu’hypersensibilité environnementale rime parfois avec hypersensibilité à une panoplie de médicaments. Ces personnes souffrent beaucoup physiquement. De plus, le manque de compréhension et de solutions face à leur situation, il y a un stress énorme qui se répercute sur bien des facettes de leur vie.

 

Conséquences

C’est une vie d'essais-erreurs, acheter, laver à l’excès et finalement devoir jeter trop souvent. Sarah a souvent dû emprunter à des amis et elle a eu beaucoup de soutient mais le fait de ne pas être assez bien pour socialiser en personne ou à distance pendant de longues périodes ou le scepticisme de quelques personnes face à sa condition et les remboursements incertains sont un poids qui pèse sur ses relations. La maladie causée par les moisissures entraîne des symptômes qui empêchent les gens de fonctionner et de travailler. Ils ne peuvent pas non plus avoir une vie sociale normale et plusieurs sont jugés par leurs proches. Ils n’ont plus beaucoup d’argent car leur vie de malade leur coûte une fortune tout en rendant les rentrées d’argent bien difficiles. Sarah a, à ce jour, déboursé des centaines de milliers de dollars depuis vingt ans en suppléments, remèdes et thérapies de toutes sortes, simplement pour se garder en vie. Ses finances sont un casse-tête, après sa faillite personnelle et la proposition au consommateur de son conjoint. La gestion de son environnement immédiat est un combat de tous les jours. Dans ces conditions, les personnes atteintes de maladies environnementales « se retrouvent souvent dans des logements pas chers… où on retrouve des moisissures », note le Dr Jacques, un des seuls médecins à l’avoir appuyée dans ses démarches pendant un certain temps.4

 

Logements

Pourtant, le logement de Montréal de Sarah n’avait pas du tout l’air insalubre. Heureusement, parmi les « amis » des hypersensibles aux moisissures, il y a la direction de la santé publique (DSP), dont fait partie le Dr. Jacques. La DSP produis des rapports exhaustifs sur les troubles causés chez les patients par leur environnement immédiat. Ils vont sur place, dans les logements, et détectent l’humidité dans les murs là où cela ne se voit pas à l’aide d’appareils très sophistiqués. Ils émettent des recommandations pour faire évacuer des immeubles mais les inspecteurs, eux, font des constats superficiels qui renversent les recommandations. Les logements ne sont pas rénovés par les propriétaires et les locataires en situation de vulnérabilité continuent à être malades car ils ont peur de déménager et de ne trouver que des logements plus chers. Le logement de Montréal de Sarah, lui, avait été complètement détruit et refait à neuf il y a une dizaine d’années. Elle a pu y rester quelques années pendant qu’elle cherchait un autre logement sain pour mettre son histoire derrière elle. Malheureusement, aucun logement abordable pour ses moyens ne semblait assez salubre pour une personne devenue aussi sensible. Selon les études relatées par Dr Louis Jacques lui-même, à Montréal, plus d’un logement sur deux est contaminé aux moisissures.5 Et pour les personnes sensibilisées, il arrive que de petites quantités de contaminants suffisent à les garder malades. Et il n’y a pas que les moisissures qui constituent l’insalubrité d’un logement, pouvant rendre malade ses occupants : La DSP a mené une enquête en 2006 avec une préoccupation particulière pour les 12 ans et moins : Sur un échantillonnage aléatoire, 30% avait souffert de troubles respiratoires dans les 12 mois précédant l’enquête. 36% vivaient dans des logements présentant de l’humidité excessive ou des moisissures. 4,5% des logements de ces enfants avaient des coquerelles et 6% avaient des rongeurs. « On a entre autres appris que les excréments de coquerelles transmettent des allergènes susceptibles de provoquer des rhinites chroniques et même de l’asthme. On le voit chez les enfants qui vivent dans des milieux insalubres. », note le Dr Stéphane Perron.6

 

Qualité de l’environnement

C’est de nouveaux voisins fumant leurs cigarettes sur leur balcon, près du conduit d’aération du logement de Sarah, ce qui la rendait plus malade que jamais, qui ont obligé cette femme d’alors 37 ans à quitter son logement, en 2017. Elle s’est tournée vers les Laurentides. Depuis, elle dit avoir beaucoup de difficulté à revenir vers l’air pollué de Montréal. Ce n’est pas dans n’importe quelle « campagne » qu’elle pouvait aller. Selon elle, L’Estrie est invivable car il y a trop de pesticides chimiques dans l’air, aspergés sur les cultures industrielles. « L’Estrie, c’est bon pour les personnes sensibles aux champs électro-magnétiques », explique mon amie qui en connaît aussi un rayon sur cette autre maladie environnementale qui la touche peu mais la touche quand-même. C’est dans les Hautes-Laurentides qu'elle a décidé, après maintes visites à divers endroits, d’élire domicile avec son compagnon (également hyper sensible à l’environnement) pour y trouver l’air le plus pur. Malheureusement, les déménagements s’y sont quand-même enchaînés. Les déménagements en série sont une réalité fréquente chez les gens sensibilisés aux moisissures parce que la plupart des propriétaires ne sont pas prêts à retirer tous les matériaux ayant subi une infiltration d’eau. Au-delà de la possibilité de se loger au mieux, des personnes comme Sarah n’arrivent pas à se sentir bien dans le moindre édifice. Des chercheurs, comme Dr Ritchie Shoemaker, semblent également dire que les moisissures d’aujourd’hui sont plus toxiques que dans le passé. Nous habitons le continent qui utilise le plus grand nombre et la plus grande quantité de pesticides (comme le glyphosate) non seulement pour l’agriculture, mais aussi en prévention, dans nos environnements sauvages. Comment pouvons-nous penser en tant que collectivité que ce déversement sans mesure de poisons ne fait pas de nos sols un enfer pour nos poumons? Après tout, la terre est composée de bactéries et de moisissures, des positives et des négatives et malheureusement, les biocides encouragent souvent la surcroissance de celles qui sont nocives pour la santé, sans parler des biotoxines relâchées dans l’air par les organismes qui tentent de se défendre contre les produits chimiques.

 

Causes

Comment l’humain, conçu pour vivre en symbiose avec les moisissures a-t-il pu en arriver à de telles intolérances invivables? C’est l’ultime question que j’ai posée à Sarah. Voici sa réponse : « les logements, même neufs, recèlent souvent des problèmes de moisissures. Au Québec, les normes de la construction ne tiennent pas compte de ce grand danger qui guette les édifices. Le climat québécois est changeant et trop souvent humide et les matériaux poreux couplés à des maisons écoénergétiques trop étanches depuis les années 1980 semblent avoir sonné le glas pour la qualité de l’air à l’intérieur des maisons. De plus, les temps de séchage des matériaux ne sont pas toujours respectés lors de la construction, les panneaux de bois condensés sont laissés à la pluie battante et au vent sans protection et sont refermés sous des matériaux étanches qui emprisonnent l’humidité. Pire encore, on entend que les panneaux de gypse arrivent de la Chine pré-ensemencés de spores ou de mycotoxines. Le milieu de la construction semble bien gouverné par le désir d’économiser temps et argent au détriment de la santé des futurs occupants. Donc, trouver un logement sain est un défi de taille. Et l’accès à une propriété faite sur mesure est une entreprise d’une rare complexité, sans compter les finances détruites par un parcours semés de difficultés ». Pour cette raison, nous retrouvons une communauté de personnes grandissante qui sont exilées de leur domicile, obligées à un pèlerinage où elles parcourent des milliers de kilomètres en quête d’un air pur pour guérir. Été 2021, Sarah est sur le point d’aller vivre en camping, car l’air libre de toxines et le déplacement de son logement semble son seul salut. Mais pour combien de temps peut-on encore espérer qu’il sera possible de trouver de l’air sans toxicité?

 

Ariane Genet de Miomandre

 

1 COX, Rachel, et al., « quand l’environnement rend malade », Association pour la santé environnementale du Québec, Service aux collectivités de l’Université du Québec à Montréal, TÉLUQ et Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2012. sac.uqam.ca/upload/files/publications/communautaire/Quand%20lenvironnement%20rend%20malade%20_%20%20Document_informations.pdf
2 Lapresse.ca, GIRARD, Mario, « les canari du XXIe siècle », 7 février 2020, www.lapresse.ca/cinema/2020-02-07/les-canaris-du-xxie-siecle
3 E. SEARS, Margaret, 2007, « Le point de vue médical sur l’hypersensibilité environnementale », rapport de la Commission canadienne des droits de la personne, 94 p.
4 Plus.lapresse.ca, « Des immeubles de misère », consulté le 6 janvier 2021, plus.lapresse.ca/screens/4173-765c-535ea7b1-97b2-18aaac1c606a__7C__~0kSAXa~tmAi.html
5 Jacques, Louis, 2011, « Évaluation par des experts internationaux des pratiques de la Direction de santé publique concernant les problèmes de santé associés aux infiltrations d’eau dans les bâtiments ». Actes de l’audit tenu en avril 2013.
6 Plus.lapresse.ca, « Des immeubles de misère », consulté le 6 janvier 2021, plus.lapresse.ca/screens/4173-765c-535ea7b1-97b2-18aaac1c606a__7C__~0kSAXa~tmAi.html